Contrairement aux posts précédents de cette rubrique, nous allons aujourd'hui aborder une menace qui ne s'est pas concrétisée, et fort heureusement, car si tel était le cas, je ne serais pas là pour écrire ces lignes et vous pour les lire. Néanmoins, cette menace, la pire de toutes, est aujourd'hui dans nos esprits à tous, avec la guerre déclarée par la Russie à l'Ukraine qui fait craindre un possible engrenage avec les pays de l'OTAN, que tout le monde souhaite éviter.
Considérée comme absolument impossible et inconcevable par la plupart jusqu'il y a quelques jours encore, cette menace est revenue brutalement marquer nos esprits à la suite des menaces proférées par le président russe envers tout pays qui se mettrait en travers de sa route dans le cadre de la guerre avec l'Ukraine.
Ce scénario, j'ai souhaité le dénoncer en le mettant en images à plusieurs reprises, tout particulièrement dans les deux ouvrages que sont "Résilience" et "HOPES". Ce dernier y consacre plusieurs pages et visuels et aborde également d'autres menaces liées aux dérives possibles de cette guerre comme le bombardement d'installations nucléaires civiles qui fera l’objet d’un autre article.
N’oublions pas que, par le passé, nous sommes déjà passés à plusieurs reprises au bord du gouffre – par exemple, au moment de la crise des missiles de Cuba, qui avait tétanisé le monde entier en 1962. Dans un monde aussi dangereux que le nôtre, il est plus que jamais temps d’engager une marche arrière mondiale via une suppression des armes les plus dangereuses, à commencer par les armements chimiques, bactériologiques et, évidemment, nucléaires. Ce à quoi s'emploient mes amis de l'ICAN qui reçurent pour leur engagement le Prix Nobel de la Paix il y a quelques années. Le conflit actuel rappelle cette urgence. À rebours des politiques de réarmement que nous connaissons partout suite à l’invasion russe de l’Ukraine, il est plus que nécessaire de continuer d’œuvrer en ce sens en appelant à la raison toutes les parties. La France qui a essayé de se poser depuis le début de la crise en médiateur pourrait parfaitement prendre une telle initiative, même si dans les moments présents, la menace immédiate que représente la Russie pour la stabilité du monde tend a contrario à revoir à la hausse les budgets de la défense partout dans le monde.
Dans Hopes, j'ai souhaité faire témoigner Setsuko Thurlow, une des rares personnes pouvant témoigner de l'horreur de l’arme nucléaire dont je retranscris quelques phrases ici tirées de l’ouvrage et de notre échange :
En tant qu’écolière de treize ans, j’ai vu ma ville natale, Hiroshima, aveuglée par le flash, aplatie par une explosion semblable à un ouragan, brûlée par une chaleur de 4 000 degrés Celsius et contaminée par les radiations d’une bombe atomique. Un brillant matin d’été s’est transformé en un sombre crépuscule avec de la fumée et des débris s’élevant dans le champignon atomique. J'ai vu une masse de figures grotesques et fantomatiques – saignantes, brûlées, noircies et gonflées, la peau et la chair suspendues à leurs os. Ma bien-aimée Hiroshima a disparu de la surface de la Terre, avec environ 300 000 hommes, femmes et enfants tués instantanément par la bombe, et au fil du temps par les effets persistants des radiations – qui continuent de faire des victimes depuis plus de sept décennies !
Setsuko Thurlow, HOPES, Symbiom editions 2021
Survivante du bombardement atomique d’Hiroshima
Oratrice pour l’ICAN à l’occasion de la réception du prix Nobel de la Paix 2017
Rappelons que depuis le 7 juillet 2017 fut adopté un traité sur l'interdiction des armes nucléaires (TIAN), ratifié par 44 des états membres des Nations unies, renforçant l’article VI du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires. Chaque pays signataire s’est engagé à s’interdire la mise au point, production stockage transfert et évidemment utilisation d’armes nucléaires. D'autres états sont venus depuis ajouter leur signature à ce traité : Le 22 janvier 2021 il y a un an, un 50e état signataire entraina son entrée en vigueur. Les pays détenteurs de l'arme nucléaire sont donc désormais officiellement hors-la-loi. Le traité prévoit en outre pour les pays nucléarisés qui y adhéreraient un processus de sortie via l’élimination de ses armes, mais également une vérification de leur destruction et l’irréversibilité de l’abandon de leur programme nucléaire.
À celles et ceux qui avancent des arguments tactiques pour justifier du maintien des programmes nucléaires, je citerai le Commandant en chef des Forces armées stratégiques américaines :
Ériger l’arme nucléaire en arbitre suprême des conflits condamne le monde à vivre à l’ombre d’un nuage noir d’angoisse perpétuelle. Pire, cela revient à valider les instincts les plus meurtriers de l’humanité en en faisant un recours acceptable en cas d’échec des autres méthodes de règlement des conflits.
George Lee Butler
Commandant en chef des Forces
armées stratégiques des États-Unis
de 1992 à 1994
Un propos que partagent bien d’autres militaires, à l’instar de Bernard Norlain, également contributeur de Hopes: Depuis Hiroshima, l’humanité vit sous la menace d’une ou plusieurs explosions nucléaires. Des dizaines, des centaines de millions d’êtres humains sont pris en otage à leur insu dans une mortelle course à la puissance. La planète elle-même est menacée de destruction. Qu’elles soient provoquées par un conflit nucléaire, par accident ou par une mauvaise interprétation, des explosions nucléaires auraient des conséquences dévastatrices pour l’humanité et son environnement. Pourtant, il existe encore des milliers d’armes nucléaires de par le monde. Ces armes par leur existence même et par leur possibilité d’emploi constituent à tout instant un risque considérable. Plus encore : elles font l’objet, à l’heure actuelle, de programmes de développement et de modernisation qui les rendent plus meurtrières et plus susceptibles d’emploi. Depuis la création de cette arme de terreur, de nombreuses voix se sont élevées pour dénoncer cette danse au bord du gouffre. Aujourd’hui ces voix se font de plus en plus fortes pour réclamer l’abandon de ce pari sur la mort de populations entières et pour réclamer un désarmement nucléaire général. Un Traité d’interdiction des armes nucléaires est en cours de ratification à l’Assemblée générale des Nations unies. Ce traité est un premier signe. Il indique la voie, car non seulement l’abandon de l’arme nucléaire est possible, mais il est indispensable. Bernard Norlain, HOPES, Y. Monget Symbiom, 2021
Légende : Parmi les scénarios mis en image dans l’ouvrage HOPES, figure cette peinture numérique montrant l’épave d’un sous-marin nucléaire ayant lancé ses ogives sur une Terre dévastée, où la plupart des formes de vie auraient été exterminées. L’Art et la prospective comptent parmi les meilleures armes pour pousser à la réflexion et communiquer sur les menaces et risques encourus… justement pour éviter que ces catastrophes se produisent un jour. C’est en tout cas le biais pris dans ce livre photo-documentaire, qui, a contrario, met également en scène des futurs possibles où l’humanité aura su faire preuve de sagesse pour réinventer le monde. D’excellents films comme « le dernier rivage » mériteraient probablement d’être projetés à tous les aficionados de l’atome pour leur montrer réellement où cette technologie pourrait nous mener, dans un monde en proie à l’irresponsabilité et l’aveuglement de beaucoup.
Je complèterai également mon propos critique envers l’arme atomique par cette histoire que peu de gens malheureusement connaissent et que j’ai publiée le jour du décès de Stanislav Petrov (histoire également contée dans HOPES) :
Stanislav Petrov, beaucoup d’entre vous ne connaissent pas son nom alors qu’il devrait être enseigné dans tous les cours d’histoire. Car sans lui, aucun de vous ne serait probablement vivant aujourd’hui. Cet homme, à qui nous devons tous notre vie, n’a rien évité de moins, en pleine guerre froide, qu’une pluie de missiles nucléaires ne s’abatte dans le monde et ne le transforme en surface aussi accueillante que le sol lunaire.
Alors qu’il n’était en 1983 âgé que de 34 ans, ce soldat était en charge –en pleine guerre froide, donc – de la surveillance du système satellite de Moscou. Quand le 26 septembre à minuit environ les alertes se mirent à retentir, indiquant le lancement de 5 missiles des États-Unis vers l’URSS, la logique militaire aurait voulu qu’il lance l’alerte, et donc la réplique immédiate de l’URSS – ce qui voulait dire en clair, une guerre nucléaire. Mais voilà, cette nuit-là, cet homme a refusé de donner l’alerte. Cette nuit à, Stanislas Petrov a probablement évité rien de moins que la troisième (et probablement dernière) guerre mondiale. Terrifié, il a en effet vite compris l’enjeu de la décision et ce qu’elle impliquait pour le monde. Il prit le temps de réfléchir et de se poser une question liée au nombre de missiles apparemment lancés : si les USA voulaient réellement détruire l’URSS, pourquoi n’avoir lancé que cinq missiles et non pas tout l’arsenal ? Ayant un doute, il eut alors l’idée d’observer les radars au sol, qui ne confirmaient en rien ce tir. Il décida de parier sur une erreur informatique en priant pour être dans le vrai. L’histoire nous apprendra plus tard que l’erreur d’interprétation des ordinateurs provenait effectivement du reflet de nuages que les outils technologiques de l’époque avaient «mal compris».
Ce soir du 26 septembre 1983, notre technologie aurait pu nous détruire.
Ce soir du 26 septembre 1983, cet homme a tout bonnement sauvé le monde.
La chance fut avec nous en 1983. À dire vrai, elle le fut à un certain nombre de reprises. Mais la chance finit toujours par tourner. Nous n’aurons pas toujours un Petrov pour nous éviter de commettre l’irréparable.
Sans parler même de conflit armé, on le voit, le conflit nucléaire pourrait survenir suite à de nombreuses causes : piratage des systèmes de défense d’un pays nucléarisé, erreur humaine, erreur d’interprétation par exemple, en passant par l’irresponsabilité d’un dirigeant qui pour d’obscures croyances serait prêt à l’impensable pour devenir un martyr et entrainer toute l’humanité dans sa folie.
Légende : plusieurs autres peintures numériques réalisées dans Hopes font suite à une collaboration inédite avec le milieu spatial et plusieurs astronautes, mettant en scène des avenirs possibles de notre planète… vus depuis l’espace. Ici la question est posée de voir un jour une bombe atomique lancée de manière volontaire ou involontaire sur une grande ville, comme, dans le cas présent Londres. Sans aller jusqu’à l’utilisation de la Tsar Bomba, plus puissante bombe nucléaire jamais créée (par la Russie), une bombe traditionnelle suffirait à dévaster n’importe quelle mégalopole. L’humanité manipule décidément des armes bien trop dangereuses qu'il est urgent d'interdire et détruire.
Dans HOPES, le général Bernard Norlain concluait son intervention par ces mots qui concluront également cet article :
L’espoir d’un monde meilleur où la menace des armes nucléaires, la plus immédiate, serait éliminée doit inspirer notre action. Nous devons nous libérer de la peur nucléaire. L’avenir de l’humanité ne peut pas reposer sur une bombe, fût-elle atomique. Nous ne pourrons bâtir un monde en paix s’il reste fondé sur des menaces de mort et de destruction. Ce n’est pas un supplément d’armes dont nous avons besoin, mais d’un supplément d’âme. On dit souvent que l’espoir fait vivre alors vivons d’espoir !
Bernard Norlain
Général d’armée aérienne (2S)
Légende : Dans les grandes plaines d’Amérique du Nord, le calme paisible des vacances au bord d’un lac est brutalement rompu par le bruit sourd de missiles nucléaires quittant leurs silos à plusieurs kilomètres de là. Alors que les enfants, insouciants, jouent encore, loin de comprendre la gravité de ce qui se passe, leurs parents comprennent à cet instant que le monde vient de basculer définitivement. Cette image relève encore aujourd'hui de la fiction. Nous ne sommes pas condamnés à vivre ce scenario, et détenons toujours en nous les cartes pour éviter le pire. Il est encore temps de changer de voie.
Yannick Monget
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En savoir plus sur l’ouvrage Hopes d’où sont tirés ces différents extraits et peintures numériques : https://www.symbiom.org/hopes
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